Points de vue

La grande Interview : Nasrat Latif

Pour nos sociétaires et notre clientèle, la grande interview de 2022 est consacrée aux caractéristiques, rôle et positionnement d’une banque ancrée dans une région et dans une économie locale. Nous avons sollicité la vision et le témoignage de Nasrat Latif pour son angle de vue peu commun sur les entreprises de Suisse romande.Lui-même patron d’entreprise, il confronte chaque semaine depuis 10 ans des entrepreneurs de tous horizons. Il perçoit l’économie et son évolution dans sa réalité.

Photo de Alexandre Gauthier-Jaques

Alexandre Gauthier-Jaques

Directeur de la CER

Portrait de Nasrat Latif : Directeur et fondateur de Nokté Media, journaliste indépendant, producteur de l’émission télévisée Entrepreneurs.

Il se dit fasciné lorsqu’il était enfant, par l’aventure qui rime avec journalisme. Il est le reporter qui lance vers l’âge de 13 ans son petit « Journal à 2 balles ». Il est l’étudiant qui au fond d’un couloir d’un sous-sol de l’EPFL tombe en amour pour le journalisme en animant « Fréquence Banane » la radio des étudiants. Le temps d’un intervalle il est ce journaliste qui part couvrir un conflit mondial. C’est pourtant vers l’information locale qu’il se dirigera.Car il est passionné de la chose publique. De ses privilèges « Tu parles des gens à qui tu t’adresses », et de ses risques aussi « L’attention du public est telle qu’un mot dit de travers, un oubli, et cela va être relevé ». C’est un journaliste qui aime se mettre à la place des autres. Depuis 10 ans Nasrat Latif produit l’émission télévisée Entrepreneurs qu’il anime sur la chaîne La Télé. Il apprécie confronter des entrepreneurs qui n’ont a priori rien à voir entre eux, car cela crée le débat. Il se nourrit de l’expérience des autres. Une expérience qu’il concrétise en devenant lui-même entrepreneur. Indépendant depuis 2016 puis créateur de sa propre entreprise Nokté Média à Lausanne en 2019.

Nasrat, je crois savoir qu’en ta qualité de producteur de l’émission Entrepreneurs depuis de nombreuses années tu as pu interviewer plus d’un millier d’entrepreneures et entrepreneurs aux profils et métiers très variés, et dont la grande majorité sont des romands. Comment es-tu venu à t’intéresser au monde des entreprises, notamment celles qui composent l’économie locale ?

A la base je suis un journaliste politique et j’aime la chose publique. Le journalisme permet d’avoir une influence sur la société qui t’entoure, ne serait-ce qu’en donnant la parole aux différents acteurs.

En fait, l’économie c’est plus par accident que je l’ai appréhendée. C’est notamment à travers l’émission Entrepreneurs que j’ai véritablement découvert ce sujet. L’économie est un grand mot qui peut faire peur à beaucoup de gens. C’est perçu comme étant rébarbatif. Alors qu’en réalité côtoyer des entrepreneurs est si enrichissant que c’en est inspirant. Ce qui définit l’économie ce sont les femmes et les hommes qui la composent. Et ce qui réunit les entrepreneurs, c’est leur esprit d’initiative et leur volonté à leur échelle de changer quelque chose. Plus on entre dans la granularité, plus on va toucher l’aspect local et plus cela est vrai à mon sens. La quintessence des interactions entre les personnes et les entités représente le lien social qui est créé par les entrepreneurs et donc par l’économie. Les interconnexions peuvent être si fortes dans une économie régionale !

C’est ce qui me frappe notamment dans une région comme Lavaux ou la Riviera. Le tissu économique y est particulièrement fort.

Justement comment qualifies-tu le tissu économique de la Riviera ? Quelles particularités y vois-tu ?

Il y a une vraie solidarité comme il peut y en avoir un peu partout au niveau local mais je la trouve plus forte ici. Il y a une volonté de dire - et la CER en est assez représentative - « En fait pourquoi aller chercher ailleurs ? On a ce qu’il faut ici on a des gens incroyables, des parcours prodigieux ». D’ailleurs, lorsqu’on travaillait sur les forums(ndlr : forums économiques de la Caisse d’Epargne Riviera) souvent il y avait cette volonté de ta part de dire « Alors ta proposition est super mais on a aussi quelqu’un ici qui est intéressant et qui pourrait amener ça ». Il y a véritablement cette volonté de travailler avec les gens du coin, un aspect d’économie circulaire qui est dans l’ADN de la CER. Cette région est marquée par le dynamisme de nombreux entrepreneurs qui s’investissent pour apporter de l’attractivité dans la région. Par exemple, en organisant des événements ou en contribuant à la réussite d’un événement qui offre de la visibilité ou produit une certaine aura à la région. J’ai l’impression qu’ici les relations sont saines. Il arrive que la politique veuille mettre en avant les acteurs locaux, mais si c’est fait par obligation ou en passant par des normes, on impose un mode de faire. Je trouve que ça marche moins bien. Ce n’est pas le cas ici. Il n’y a pas cette pression-là sur la Riviera.

Tu veux dire que c’est une région propice à ces interactions naturelles de l’économie circulaire ? Une région favorable au développement d’une banque telle que la CER qui récolte l’épargne de sa clientèle régionale et qui prête cet argent à d’autres clients de la même région.

Que sais-tu de notre établissement ? Comment décrirais-tu la CER ?

Pour commencer, la Caisse d’Epargne Riviera a pour moi un aspect familial. Je le perçois surtout dans le cadre de vos forums ou dans l’interaction entre les collaborateurs. C’est le trait d’une PME familiale qui me semble être dans son ADN et dans l’histoire de l’établissement. La dimension humaine aussi est liée à cet aspect. Je voudrais même préciser que c’est l’esprit familial de la CER qui est très fort. Quand on a dit ça, on a dit beaucoup de choses sur les priorités de l’établissement.

Une chose encore m’interpelle : chaque fois que je viens ici pour des rendez-vous et que je patiente dans le hall clientèle, c’est de constater le profil des clients. Moi qui ne connaissais pas la CER avant - ou des structures équivalentes - j’ai été surpris pour être tout à fait honnête de me dire « Tiens, c’est extrêmement diversifié ». C’est ce qui m’a frappé et qui donne une indication sur l’ancrage fort de la CER ici dans la région.

On nous dit toujours que c’est important d’avoir une bonne relation avec son banquier, que c’est un partenaire pour la vie. De mon point de vue, un établissement comme le vôtre c’est une évidence. Dans le cas de très gros établissements on sera plus attaché à une personne, notre banquier ou banquière, qu’à l’établissement en lui-même.Alors qu’ici c’est plus l’identité-même de l’entreprise et ses valeurs qui font que c’est la banque qui est notre partenaire, plutôt que le banquier qui suit mon dossier en particulier et qui me connaît.

Je partage ton sentiment. Nous, collaboratrices et collaborateurs, transmettons un jour le témoin dans le but finalement d’assurer la pérennité de l’entreprise et de ses valeurs. C’est l’établissement qui s’inscrit dans l’Histoire, avec les liens et la confiance que les clients lui ont accordé.

Les valeurs sont très fortes à la CER de mon point de vue, et elles font réellement partie des gènes de la banque. C’est précieux un tel capital pour une entreprise. Et si les valeurs sont vraies, sincères, c’est une force incroyable pour n’importe quelle société.

Si une entreprise locale ou régionale devait être investie d’une mission, laquelle serait-elle selon toi ? Une mission qui serait indépendante de son activité.

Je reviens sur la notion de chose publique ou même de bien commun. Pour une entreprise quelle qu’elle soit, sa mission est de pouvoir apporter une plus-value. Forcément pour une société locale cette plus-value va rapporter aux personnes qui composent la communauté de ce lieu. Même d’un point de vue commercial, cette plus-value est de répondre à un besoin ou peut-être même de créer un besoin.

Pour le contexte local c’est encore plus fort : « Qu’est-ce que j’apporte comme plus-value à la personne que je croise peut-être tous les jours ? ». D’où l’aspect de proximité. Et j’aime le relever souvent : l’avantage de l’économie locale est qu’on obtient tout de suite les fruits de son travail.

L’ancrage régional on l’a vu présente des avantages indéniables en raison de la force des liens qui existent entre individus, par exemple entre le client et sa banque. Présente-t-il aussi des inconvénients ?

En tant qu’entreprise c’est le revers de la même pièce. Les avantages sont aussi des inconvénients.

C’est à dire que cette proximité apporte un retour direct sur ce qui est bien. L’inconvénient évidemment si on se grille par exemple, c’est fini. On n’a pas la distance qui permet de se protéger. La confiance met beaucoup de temps à se gagner.Alors qu’il suffit d’un événement, d’une mauvaise expérience, pour anéantir ce qui a été construit durant 20 ans ou 30 ans.

Un autre inconvénient que je vois c’est la prise de risques qui est limitée à cause de cette proximité. Par exemple en tant qu’entreprise lorsqu’on se dit « Ah mais on a toujours fait comme ça. Donc si on commence à faire autre chose on risque de heurter certaines habitudes ».

Un autre inconvénient auquel je pense c’est le risque d’une trop grande confiance : si le client se dit « Je connais cette société depuis tant d’années, mes parents et mes grands-parents aussi, je suis en confiance, j’y vais les yeux fermés ». Parfois ne serait-ce que du point de vue commercial, il peut être intéressant de voir ce que fait la concurrence ou la jeune entreprise qui vient de s’installer. Je veux exprimer par là qu’il peut y avoir un risque d’obligation morale de rester lié à l’entreprise locale.

Je comprends. D’où l’importance de la remise en question de notre façon d’agir envers nos clients. Tout un défi de mériter la fidélité de sa clientèle et viser la durabilité. Au fait, même si le sujet est devenu bateau, qu’est-ce qu’une entreprise durable selon toi ?

Une entreprise durable est une société qui a du respect pour les gens, pour les êtres et pour les choses. Pour moi c’est vraiment ça la durabilité. La question environnementale découle de cette définition. Dès le moment où l’entreprise a du respect pour ses clients, pour ses collaborateurs, pour les services ou les produits qu’elle met à disposition, tout le reste s’inscrit dans un cercle vertueux. La base est saine et c’est ça qui est juste.Pour ce faire l’entreprise va chercher à travailler par exemple avec du circuit court. Ça signifie qu’elle doit connaître ce qu’elle produit, les gens avec lesquels elle travaille. Connaître ses prestataires, les côtoyer. Et là on débouche sur l’aspect de l’économie circulaire. Donc pour moi la durabilité c’est ça. Tandis que créer un concept de durabilité parce que c’est la tendance, cela prend un temps fou pour que ce soit sincère. Beaucoup dePME locales sont durables sans même se poser la question. A mon sens, l’écrasante majorité du tissu économique local est par définition durable.

Ce qui est intéressant dans ton discours c’est que tu associes la durabilité avec la proximité. C’est un sacré challenge pour les grandes entreprises qui ont misé sur la globalisation depuis des années.

Si la durabilité est synonyme ou associée à l’aspect de proximité, comment revenir d’un positionnement global ou mondial à une position locale ?

Tu utilises volontiers le terme de globalisation pour mettre en parallèle la mondialisation. Ça fait quelques années que cela s’effrite. Il y a quand même des questionnements de la part des consommateurs depuis la période de la pandémie, ce qui a contribué à réveiller un certain état de conscience. Du point de vue purement commercial les marques mettent en avant une production plus « locale ».

Il y a des secteurs qui commencent à revivre en Suisse alors qu’ils avaient complètement disparu. Il y a des entrepreneurs à toute petite échelle qui font revivre un savoir-faire qui était perdu. Il ne s’agit pas seulement de proximité, c’est un mouvement plus large à mon sens. Et maintenant cela semble important pour les consommateurs. Pour les grandes sociétés le défi est de déterminer un modèle de décentralisation. Avec le coût et le niveau d’efficience que cela implique. Si le client final est d’accord de payer un peu plus cher, cela peut fonctionner.

Dès lors si la durabilité rentre dans les mœurs comment la communauté va-t-elle évoluer ?

Je ne suis pas spécialiste, ni sociologue, ni anthropologue. Cela dit nous constatons que la question de durabilité passionne et que cela va au-delà de la thématique de l’environnement. La durabilité devient un objectif social en soi. Ce qui est un vrai défi car actuellement il polarise. Je préconise qu’il faut éviter la confrontation radicale avec l’objectif de détruire le système pour le reconstruire, car on peut sans doute changer les choses autrement.Avec les prérogatives de la jeunesse, celle qui représente les nouvelles générations.

Nasrat, je voudrais te remercier sincèrement de cette interview. D’une part parce que ceséchanges sont passionnants. Les pages de ce 209ème rapport de gestion ne suffiraient pas pour couvrir le sujet.

D’autre part car tu as accepté de te prêter à cet exercice très particulier pour toi puisque d’ordinaire c’est toi qui interviewes l’entrepreneur.

Encore merci.

Interview réalisée en janvier 2023 par A. Gauthier-Jaques

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